Par Flora Helard & Mathilde Thonon, In venture
Depuis 10 ans, la Fondation Grameen Credit Agricole encourage le développement d’initiatives locales de microfinance et d’entreprises sociales dans les plus de 30 pays en développement dans lesquels elle est implantée. Nous avons interviewé Philippe Guichandut qui nous a parlé des engagements et des résultats des actions de la Fondation.
Socialement responsables, la Fondation Grameen Crédit Agricole a été créé en 2008 sous l’impulsion conjointe des dirigeants du Crédit Agricole et du Professeur Muhammad Yunus, Prix Nobel de la Paix 2006 et fondateur de la banque de microcrédit Grameen (voir son interview ici). La Fondation encourage le développement d’initiatives locales de microfinance et d’entreprises sociales dans les 32 pays en développement dans lesquels elle est implantée. En 2017, 49 millions d’euros ont été octroyés à des institutions de microfinance partenaires et des entreprises sociales.
Nous avons interviewé Philippe Guichandut, Directeur du Développement et de l’Assistance Technique, qui nous a parlé des engagements et des résultats des actions de la Fondation.
1. Le partenariat entre le Crédit Agricole et la Grameen va fêter ses 10 ans. D’après l’expérience de la Fondation, peut-on confirmer l’affirmation du Professeur Yunus que les pauvres sont solvables?
En effet, nous nous sommes rendu compte que les bénéficiaires des institutions de microfinance remboursaient généralement bien leurs crédits, à des taux de remboursement meilleurs que ceux des banques traditionnelles pour ce type de clients. Il faut toutefois nuancer la définition de “pauvres”. Pour toucher les populations les plus pauvres, la microfinance ne suffit pas. Il est nécessaire de fournir des services complémentaires non-financiers et un accompagnement personnalisé, afin que les clients ne se retrouvent pas dans des situations de surendettement. Les IMFs qui visent les populations les plus pauvres proposent ainsi d’abord des sessions d’information ainsi que de l’aide individuelle, puis le crédit intervient dans un deuxième temps lorsque la personne est plus prête et mieux armée pour faire développer son activité économique. Donc je dirais que oui, sous certaines conditions, les pauvres sont solvables. Cependant, je ne crois pas que toute personne est un entrepreneur potentiel, beaucoup des emprunteurs en microfinance sont dans des logiques de survie, notamment parmi les plus pauvres.. Il faut sélectionner avec attention des individus qui sauront utiliser le crédit à bon escient, pour de pas empirer leur situation.
2. Pourquoi pensez-vous que les banques ont un rôle prépondérant à jouer dans la résolution de problèmes sociaux et environnementaux?
Les banques ont certainement un rôle à jouer, au même titre que les ONGs, l’Etat et les entreprises. Il est important qu’elles intègrent une dimension sociale dans leurs activités et évoluent vers un fonctionnement plus inclusif et responsable, afin de pas laisser à l’écart une partie de la population. Le problème social ne peut cependant pas être entièrement sous la responsabilité des banques, nous avons besoin d’un véritable changement de paradigme au niveau de l’opinion publique. Si la microfinance a émergé, c’est pour pallier à un défaut du marché qui ne répondait pas aux besoins de toute la population, notamment dans les zones rurales et auprès des populations exclues des systèmes bancaires traditionnels. Malheureusement, je pense que la microfinance a encore de beaux jours devant elle.
3. Comme la Grameen, vous ciblez particulièrement les femmes pour vos activités de microfinance. Constatez-vous des différences dans l’emploi du crédit selon le genre?
Bien sûr, nous savons que les femmes vont plus facilement réinvestir les bénéfices liés à leurs activités dans le cadre familial, notamment la scolarisation des enfants, la nourriture, l’habitat, la santé… Cela ne veut pas dire que les hommes ne le font pas mais on constate généralement que la conscience familiale est plus présente chez les femmes, ce qui permet d’atteindre un plus grand nombre de personne avec la microfinance et participer à l’amélioration des conditions de vie des personnes ciblées.
4. Est-ce possible de mesurer concrètement l’impact de la microfinance sur le bien-être des communautés? Quels indicateurs utilisez-vous et pensez-vous qu’il faille universaliser la mesure d’impact?
La mesure de l’impact est quelque chose de très complexe, et pour cette raison la microfinance a beaucoup été critiquée. Nous sommes confrontés à un problème de méthodologie, il y a différentes écoles concernant la mesure de l’impact. Or, selon la méthodologie adoptée, on peut trouver des résultats très différents. Nous avons donc choisis de mesurer la performance sociale de nos projets, en travaillant avec l’outil de notation SPI4-ALINUS, développé par CERISE pour la due diligence et le monitoring des investisseurs sociaux. Je pense qu’il serait trop complexe et risqué d’universaliser la mesure d’impact car il faut tenir compte des spécificités locales (religion, culture, enclavement, niveau de développement…), et celles-ci varient énormément d’une région à l’autre.
5. Pensez-vous que les modèles des IMF que vous soutenez sont exportables en France, ou est-ce que la microfinance est réservée aux pays en développement?
Absolument, la microfinance se développe en France et en Europe. Elle n’est pas réservé aux pays en développement. Ce sont des marchés différents, des coûts différents mais de nombreuses personnes voulant développer une activité économique et ne pouvant pas obtenir de prêt d’une banque traditionnelle se tournent aujourd’hui vers cette solution. Le Réseau Européen de la Microfinance (REM) regroupe les institutions intervenants en Europe et cherche à améliorer les cadres législatifs européens et des Etats membres.
6. Avec ce partenariat entre le Crédit Agricole et la Grameen, vous semblez réaffirmer votre volonté d’inclusion des territoires ruraux. Quel est votre agenda pour aller encore plus loin dans l’inclusion sociale des zones rurales et enclavées?
Il y a énormément de choses à faire pour renforcer l’inclusion des ruraux, et notamment des agriculteurs. Il y a très peu d’institutions de microfinance qui se spécialisent dans ce secteur car il est très risqué et dépend fortement des aléas climatiques. La microfinance est généralement urbaine ou péri-urbaine, et lorsqu’elle est rurale, elle est rarement agricole. C’est un vrai enjeu pour nous de comprendre et de financer les chaînes de valeur agricoles. L’expérience du Crédit Agricole dans ce domaine en France est très utile pour nous. 77% de nos bénéficiaires sont issus des zones rurales, et entre 20 et 30% travaillent dans l’agriculture.
7. La Fondation investit également dans des entreprises sociales. Quels sont vos critères de sélection pour celles que vous financez? Investissez-vous dans des early-stage social business ou bien à un stade déjà plus avancé?
Nous n’investissons pas dans des startups mais plutôt dans des entreprises sociales déjà développées, pas forcément économiquement pérennes mais qui possède un réel potentiel de développement. Pour nous, le plus important est que la mission principale de l’entreprises soit véritablement sociale. Nous faisons signer une charte sociale aux entrepreneurs et actionnaires pour s’assurer que l’impact social soit bien le moteur du développement de leur entreprise. Dans un second temps, nous étudions leur business plan, le capital requis, la pertinence sur le marché et les indicateurs sociaux. Nous accordons également une importance particulière à la personnalité des entrepreneurs car ce sont eux qui vont faire en sorte que l’entreprise fonctionne ou pas, et la confiance est la base de tout partenariat.
8. Dans vos activités de plaidoyer, sentez-vous qu’il y ait encore beaucoup de travail à faire pour réconcilier le monde de la finance et celui de l’aide social et de la protection de l’environnement auprès de l’opinion publique ?
J’ai eu un long parcours dans le monde associatif avant de rejoindre la Fondation Grameen Crédit Agricole. Il existe une vraie différence culturelle mais l’opposition traditionnelle entre ces secteurs découle surtout d’une méconnaissance mutuelle et de beaucoup de préjugés. Le privé et le social n’ont jamais été aussi proches, de plus en plus d’initiatives en commun se développent et le privé a acquis un vraie conscience des enjeux sociaux et environnementaux. C’est aussi une question de génération, les jeunes aujourd’hui ont une sensibilité différente et nous n’en sommes qu’au début de ce rapprochement.
9. En tant qu’épargnants du Crédit Agricole, que peut-on faire au niveau individuel pour participer au mouvement de la finance inclusive?
Il existe de nombreuses opportunités pour participer à ce mouvement de manière individuelle, mais la plupart des gens ne sont pas au courant. Un gros travail de sensibilisation est nécessaire pour donner accès à ces informations. Vous pouvez souscrire à des produits labélisés Finansol, investir dans des entreprises sociales, acheter des biens ou services fournis par des entreprises de l’ESS. Si vous travaillez dans une grande entreprise, vous pouvez choisir d’utiliser l’épargne salariale. Allez aussi voir votre banque pour vous renseigner sur vos possibilités.
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