Soukeyna Ndiaye Bâ est membre du Conseil d’administration de la Fondation depuis sa création. Engagée dans la promotion des femmes entrepreneures depuis plus de 20 ans, elle est également directrice exécutive d’INAFI (International Network of Alternative Financial Institutions), un réseau mondial d’organisations qui soutiennent des programmes de microfinance. Abdul Hai Khan est membre du Conseil d’administration et Directeur général de Grameen Trust. Il est également membre du Conseil d’administration de différentes organisations de microfinance et d’entreprises sociales en Australie, au Bangladesh, en Chine, en France, en Inde, au Kosovo, en Italie, aux États-Unis et au Yémen.
1/ Administrateurs de la Fondation, vous êtes aussi tous les deux des experts internationaux et des praticiens de la microfinance. Pouvez-vous partagez avec nous votre analyse de la crise et plus particulièrement sur les territoires que vous connaissez bien ?
Soukeyna Ndiaye Bâ : En Afrique, le bilan aujourd’hui est de près de 100 000 décès et plus de 3,7 millions de personnes infectées, chiffres qui ne révèlent pas la réalité dans le continent parce qu’il n’y a pas un dépistage massif faute de moyens. En raison des restrictions et des fermetures de frontières pour contenir la pandémie, le continent africain n’a pas échappé à la crise. Dans ce contexte, les petits entrepreneurs, les agriculteurs et les acteurs du secteur informel sont évidemment directement affectés. En première ligne : les femmes, en milieu rural comme en milieu urbain, qui sont très actives dans le secteur informel. Au Sénégal, par exemple, 94% des femmes entrepreneures opèrent dans le secteur informel. En milieu rural, en plus de la gravité de la situation économique, la précarité sanitaire et la difficulté d’accès aux soins déjà alarmantes risquent d’empirer.
Abdul Hai Khan : On estime actuellement le nombre de décès en Asie à environ 417 000, tandis que le nombre de cas d’infection s’élève à plus de 26 millions. Les écoles en Asie de l’Est et dans le Pacifique ont été complètement fermées pour plus de 25 millions d’enfants pendant presque une année entière. Le Covid-19 a freiné la croissance en Asie de l’Est et dans le Pacifique (AEP) en réduisant considérablement l’activité économique, notamment le tourisme et le commerce. Selon les prévisions, la croissance de la région AEP, hormis la Chine, devrait ralentir à 1,3% en 2020, contre 4,7% en 2019. Des millions de ménages ont été touchés par la perte d’emplois et de revenus (y compris les envois de fonds), alors qu’ils doivent encore couvrir leurs dépenses de première nécessité ou assurer le remboursement de leurs dettes. De ce fait, le pourcentage de personnes pauvres a augmenté.
2/ Comment la microfinance et l’entrepreneuriat social atténuent-ils les effets de la crise économique ?
A.H.K. : En facilitant l’accès aux services essentiels, les institutions de microfinance et les entreprises sociales renforcent la résilience des populations à faibles revenus, notamment les petits entrepreneurs travaillant dans les secteurs formels et informels et les petits exploitants agricoles. Elles sont donc essentielles pour protéger les populations les plus vulnérables, sévèrement touchées par les effets de la crise économique et sanitaire lors de la pandémie Covid-19. Pour faire face à cette pandémie, de nombreuses institutions de microfinance ont innové et renforcé leur soutien à leurs clients. Elles ont par exemple fait une restructuration des prêts pour mieux accompagner les clients les plus affectés et ont accéléré leur transformation numérique, en introduisant ou en améliorant les transactions sans espèces via les canaux bancaires mobiles et en créant des agences en ligne.
3/ À quoi peut-on s’attendre dans les années à venir ?
A.H.K. : L’ampleur des dégâts engendrés par la pandémie Covid-19 dans le monde est considérable. Cependant, elle nous o¯re une opportunité unique d’améliorer, voire de redéfinir, nos structures économiques en nous appuyant sur une conscience sociale et environnementale. Nous ne devrions pas parler d’un programme de “redressement”, mais d’un programme de “reconstruction”. Dans ce plan de reconstruction global, l’entrepreneuriat social peut jouer un rôle essentiel, car il peut être un levier pour transformer les personnes sans emploi en entrepreneurs. L’inclusion financière peut contribuer à ce que la reprise économique s’accompagne d’un développement social.
S.B. : Le monde est menacé de récession et de crises alimentaires et sociales. La construction du monde « après Covid » doit donc être aussi multisectorielle et centrée sur l’innovation. Il faut tirer des leçons des problèmes rencontrés lors de cette crise : mieux évaluer et anticiper les risques, renforcer nos modèles socioéconomiques et repenser nos politiques publiques pour protéger davantage les populations les plus vulnérables. Les femmes entrepreneures auront un rôle primordial à jouer dans la dynamisation de l’économie. Soutenir l’entrepreneuriat féminin sera un levier pour renforcer l’autonomisation des femmes et le développement des économies rurales et urbaines. Le digital sera un outil majeur pour promouvoir l’entrepreneuriat, moderniser, développer et innover.