Par Alexia Van Rij & Philippe Guichandut, Fondation Grameen Crédit Agricole
Et si la microfinance était la clé de l’intégration des réfugiés ?
Etant souvent perçus comme une clientèle trop risquée et instable, les réfugies sont généralement non ou sous-servis par les prestataires de services financiers, en dépit des besoins criants. Pourtant, les quelques expériences de prêts à des personnes réfugiées semblent afficher des résultats satisfaisants[1].
Forts de ce constat, l’UNHCR (Haut-Commissariat aux Réfugiés des Nations Unies) et le Sida (l’Agence Suédoise de Coopération au Développement International) ont lancé un programme promouvant l’accès à des services financiers et non financiers des réfugiés en Ouganda et en Jordanie. C’est ainsi que la Fondation Grameen Crédit Agricole a été sélectionnée pour appuyer ses institutions de microfinance partenaires à reconsidérer la question des réfugiés dans leur stratégie.
Une première étude sur les besoins d’accès à des services financiers et non-financiers a été confiée à Microfinanza[2]. Dans ce cadre nous avons passé trois jours d’échanges et de rencontres passionnants avec des réfugiés burundais, rwandais et congolais au camp de Nakivale, au Sud de l’Ouganda.
Au cœur de Nakivale en Ouganda : un besoin fort d’accès aux services financiers
L’Ouganda est aujourd’hui le troisième pays au monde pour l’accueil des populations réfugiées, avec plus de 1.4 million de réfugiés à fin mars 2018. A la suite de la crise au Sud-Soudan de 2013, l’Ouganda a vu arriver un nombre croissant de réfugiés, l’HCR l’estimant à près de 1 800 par jour. Le pays mène une des politiques les plus favorables à l’accueil des réfugiés dans le monde, leur permettant de recevoir un lopin de terre à cultiver, de travailler, d’accéder gratuitement aux services sociaux ougandais (éducation, santé), de jouir de la liberté de mouvement et de recevoir des papiers d’identité. C’est dans ce contexte bien particulier que la Fondation a rejoint l’équipe de Microfinanza à Nakivale, l’un des plus anciens camps de réfugiés en Ouganda, pour les accompagner dans leur étude auprès des réfugiés.
Nakivale accueille aujourd’hui plus de 100 000 personnes, principalement originaires du Rwanda, du Burundi et de la République Démocratique du Congo, réparties en petites localités sur 185 km2. La plupart des habitants de Nakivale ont bénéficié de lopins de terre octroyés par le gouvernement, utilisés pour l’agriculture et l’élevage. D’autres tiennent un petit restaurant, un salon de coiffure ou encore un magasin de vente de vêtements. Finalement, des activités bien classiques pour des institutions de microfinance. Cependant aucune institution de microfinance n’intervient dans le camp et les réfugiés ne peuvent donc compter que sur la solidarité au sein du camp.
Moban Sacco, une organisation d’épargne crédit regroupant aujourd’hui pas moins de 1 449 membres, est née de cette force d’entraide face au manque de capital. Grâce à Moban Sacco, les réfugiés peuvent épargner de petits montants et recevoir quelques crédits, mais ceux-ci sont jugés par tous comme insuffisants pour réellement développer leur affaire.
Les préjugés démentis
Une des craintes ressenties par les institutions de microfinance à l’égard des réfugiés est que ces derniers retournent dans leur pays sans avoir payé leurs dettes. Force est de constater qu’à Nakivale, aucune des personnes interrogées n’envisage de rentrer dans son pays de sitôt face à l’insécurité de la région, certaines d’entre elles étant installées au camp depuis plus de 15 ans (en moyenne 7-8 ans) avec la ferme intention de développer leur micro-entreprise sur place.
De plus, tous les réfugiés rencontrés ont affirmé avoir une idée très concrète de l’utilisation qu’ils feraient d’un prêt. En quelques mots, ce ne sont pas les idées qui manquent, mais le capital ! Comment oublier le récit de cette femme, venue de la région du Kivu au Congo, seule avec ses trois enfants, coiffeuse de profession et dont le jeune fils de 11 ans traduisait ses paroles car elle avait œuvré toute sa vie à ce que son fils apprenne l’anglais ? Ayant quitté son pays sans économies, elle n’avait pas les moyens de monter son salon de coiffure et dépendait des rations alimentaires fournies par l’HCR pour survivre, elle et ses enfants. Ou encore la rencontre avec ce chef d’entreprise rwandais, qui avec ses quelques économies a créé il y a 6 ans maintenant une entreprise pour moudre du grain ? Il était parvenu à employer 3 personnes pour développer son activité, mais sa petite épargne ne lui permettait pas d’agrandir son affaire et d’acheter du nouveau matériel performant.
Ces exemples, parmi beaucoup d’autres, mettent en évidence la diversité des situations et le potentiel souvent gâché de ces hommes et femmes dotés de talents, d’expérience et de volonté de prendre leur destinée en mains, comme ils avaient pu le faire dans leur pays avant que la situation ne leur échappe.
A la Fondation, nous sommes convaincus que les institutions de microfinance, en adaptant leurs produits et services, ont un rôle actif à jouer dans la promotion de l’inclusion financière des réfugiés. Les opportunités de la finance digitale, une bonne connaissance des caractéristiques de chaque groupe et un suivi régulier devraient favoriser une telle implication. Les rencontres avec les institutions financières partenaires de la Fondation laissent penser qu’ils sauront être au rendez-vous et relèveront le défi d’offrir des services financiers inclusifs de qualité à ces populations réfugiées et à leurs communautés d’accueil.
L’étude en cours avec Microfinanza, qui sera rendue publique en juillet 2018, devrait donner des pistes de travail concrètes pour que nos partenaires, avec notre appui, le travail conjoint avec l’HCR et l’assistance technique financée par le Sida, puissent s’impliquer de manière active.
_______________________________________________________