“La nécessité d’agir face aux risques environnementaux est une conséquence logique de la mission que s’est fixée notre institution : venir en aide aux populations les plus vulnérables.”
Les acteurs du secteur de la microfinance historiquement organisés pour favoriser l‘accès au financement des populations fragiles doivent faire évoluer leurs outils et leurs modalités d’intervention dans un contexte d’urgence climatique et environnementale que l’on ne peut plus ignorer. Les populations rurales, vivant dans des zones économiquement fragiles, sont en effet très exposées à ces effets dans leur dépendance à l’agriculture et leurs difficultés d’accès aux services de base (accès à l’eau, à l’énergie, à des conditions sanitaires acceptables, etc.).
Pour mieux comprendre ces mécanismes, nous avons conduit une série d’entretiens qualitatifs auprès des institutions de microfinance partenaires de la Fondation Grameen Crédit Agricole qui sont venus compléter des questionnaires régulièrement adressés et analysés depuis plusieurs mois. Cette démarche nous a permis d’identifier les principaux risques environnementaux appréhendés par ces institutions et les moyens mis en œuvre pour les prévenir et les traiter. Nous partageons ici quelques éléments d’analyse ainsi que les pistes de réflexion que nos partenaires ont d’ores et déjà engagées.
1. Les risques météorologiques sont ceux auxquels il est le plus urgent de répondre
Catastrophes naturelles d’origine météorologique et dérèglement du cycle des saisons impactent de manière croissante les activités des clients des IMF. Pour 65% de nos partenaires, les risques météorologiques constitueront la menace environnementale la plus importante dans le futur proche. Les populations vulnérables et rurales en particulier sont davantage exposées du fait de leur dépendance à l’agriculture, de la fragilité de leurs infrastructures ou encore de leurs difficultés d’accès aux soins. Nos institutions partenaires partagent ainsi de nombreux exemples de perturbations qui impactent l’activité de leurs clients. Les sécheresses affectent les rendements et réduisent l’accès à l’eau potable, et les inondations détruisent les récoltes et les infrastructures et interrompent les chaînes d’approvisionnement.
L’ampleur et la nature des risques environnementaux sont très variables en fonction des régions. L’Afrique subsaharienne est la zone géographique dans laquelle nos partenaires souffrent le plus du risque météorologique : il est déjà matérialisé pour 40% d’entre elles. Dans cette région sont également rapportés plus qu’ailleurs des risques importants d’érosion et de pollution des sols. En revanche, les risques sanitaires liés à la pollution de l’air sont plus préoccupants pour nos partenaires en Europe de l’Est et en Asie du Sud-Est.
2. Une prise de conscience forte, mais une mise en œuvre encore peu significative
Nos partenaires sont largement conscients des risques environnementaux qui pèsent sur leurs activités. La grande majorité, 88% des répondants, considère que la protection de leurs bénéficiaires contre les risques environnementaux fait partie de leur mission. Cependant, cela ne se traduit pas nécessairement en actions concrètes pour le moment. L’engagement de la gouvernance de l’institution apparaît comme un pré-requis indispensable : de nombreuses institutions indiquent que les décisions en ce sens ne sont prises et les décisions mises en œuvre que lorsque la gouvernance est réellement impliquée dans le suivi des thématiques environnementales. Parmi les 88% des sondés qui estiment que les aspects environnementaux sont inclus dans leur mission, 16% n’ont pas encore d’implication tangible de leur gouvernance dans ces sujets.
3. Les Institutions ne sont pas encore suffisamment proactives sur les sujets environnementaux
Un des leviers pour inciter la gouvernance des institutions à prendre des mesures est la demande des clients : de nombreuses institutions ont ainsi observé que lorsque des clients exprimaient leurs attentes sur des services ou des financements spécifiques liés à la transition climatique (équipements d’irrigation, semences adaptées, accès à l’énergie, etc.), les conseils d’administration étaient plus enclins à vouloir développer de nouvelles offres et à demander davantage d’implication à leurs équipes sur ce thème. Pour autant, seul 40% de nos IMF partenaires observent des demandes explicites de leurs clients sur ces sujets environnementaux, ce qui laisse présupposer d’un véritable potentiel sur ce point.
L’influence que peuvent également avoir les bailleurs de fonds vient renforcer cet engagement des institutions. Parmi nos partenaires les plus avancés sur ces sujets, nombreux sont ceux qui ont été incité ou accompagné par leurs propres financiers pour définir une stratégie environnementale ou encore concevoir des produits de finance verte inclusive. C’est le cas de 4 partenaires de la Fondation Grameen Crédit Agricole sur les 7 avec lesquels nous avons mené des entretiens qualitatifs.
4. Des initiatives inspirantes ont déjà été mises en place par certaines institutions
Plusieurs de nos partenaires ont déjà mis en place des initiatives intéressantes afin de renforcer la résilience de leurs activités face aux risques environnementaux et limiter la contribution du portefeuille à ces risques.
Afin de protéger les clients et ainsi leur activité, 51% de nos institutions partenaires sensibilisent leurs clients à la vulnérabilité de leur activité face aux effets du changement climatique (baisse des rendements, impact des aléas météorologiques, etc.). 35% d’entre elles ont des listes d’exclusion, qui bannissent le financement de pratiques qui affaiblissent les activités des clients, telles que l’utilisation de pesticides ou la surexploitation agricole, qui polluent et appauvrissent les sols. Le tiers de nos IMF partenaires forment leurs clients aux pratiques plus résilientes, notamment dans le secteur de l’agriculture. Enfin, l’une des actions parmi les plus courantes est celle consacrée à favoriser la constitution d’une épargne de précaution, proposée par 25% des institutions. Elle permet aux petits producteurs de provisionner et d’anticiper des aléas climatiques potentiels (sécheresse, inondations, cyclones, etc.).
Une autre action efficace pour protéger les clients est la proposition d’offres d’assurance spécifique, notamment agricole, mais leur mise en place s’avère le plus souvent difficile et complexe. Un nombre plus faible propose des prêts d’urgence et des prêts avec des conditions suspensives flexibles afin de répondre rapidement aux besoins des clients en cas de catastrophe naturelle.
Pour limiter la contribution des activités des clients aux risques environnementaux, 65% de nos partenaires ont adopté ce qui pourrait s’apparenter à des « politiques sectorielles ». Elles permettent d’exclure des activités qui favorisent la déforestation, la pollution de l’eau ou de l’air ou la génération de déchets. Plus de 50% de nos partenaires sensibilisent leurs clients à l’impact de leur activité, par exemple la surconsommation de l’eau ou de l’énergie. 51% des IMF sondées financent des équipements à faible consommation ou des transitions vers des énergies propres. Cela concerne par exemple des modes de cuisson basse consommation, des équipements solaires ou encore l’isolation des maisons. Enfin, 47% financent des pratiques agricoles et d’élevage respectueuses de l’environnement. Ce financement est souvent complémentaire des actions de formation et de sensibilisation des clients dans le cadre du renforcement des chaînes de valeur agricoles.
5. Les IMF rencontrent de nombreux obstacles dans la mise en œuvre de leurs offres environnementales
Si nous sommes en mesure de donner de nombreux exemples d’initiatives chez nos institutions partenaires, celles-ci concernent encore un nombre limité d’entre elles. Bien que 64% des institutions ayant répondu à notre enquête aient des projets futurs sur ces thématiques, celles-ci sont confrontées à des obstacles financiers et techniques : 78% d’entre elles affirment manquer de ressources financières et 52% d’expertise pour mettre en place leurs projets. En termes de soutien financier, les IMF souhaitent des lignes de financement de plus de 3 ans, ainsi que des prêts à des taux avantageux indexés à des objectifs de performance environnementale. L’assistance technique est aussi un outil efficace pour accompagner les entreprises dans la conception de nouveaux produits, la sensibilisation et la formation de leurs clients, et l’adaptation de leur activité vers plus de résilience et de respect de l’environnement. D’après nos entretiens, recevoir de l’assistance technique joue un rôle clé dans leur développement, et les besoins des IMF en assistance technique sont importants. Notamment, beaucoup de nos partenaires sont intéressés par le développement d’une offre de micro-assurance agricole, qui demande beaucoup de moyens et des connaissances spécifiques.
6. En conclusion
Afin de faire avancer le secteur de la microfinance sur les thématiques environnementales, il apparait nécessaire de mobiliser les instances de gouvernance des institutions de microfinance. Au-delà de l’accompagnement proposé par les bailleurs de fonds, à renforcer, cette mobilisation peut se provoquer en approfondissant et en répliquant à grande échelle les pratiques efficaces existantes, le partage d’expériences entre institutions, l’organisation de forums et de groupes de réflexion, la conception de produits financiers adaptés comme la microassurance ou le financement de chaînes de valeur agricoles.
Un « parcours de protection de l’environnement » reste à construire ensemble avec nos pairs et nos partenaires (à l’image du parcours de protection de la clientèle de SPTF-CERISE) en nous appuyant sur les initiatives existantes dans le secteur (Green Index, ALINUS). La pratique de « prêts verts », dont l’usage s’accélère rapidement dans d’autres secteurs, devrait être davantage promue dans celui de la microfinance. Il s’agit par exemple de proposer des taux préférentiels indexés à des objectifs de performance environnementale.
L’assistance technique est essentielle pour permettre aux institutions de mettre en place des actions concrètes. La nécessité d’adapter l’offre aux besoins des institutions est un des principaux apprentissages de l’évaluation approfondie de « Notre dispositif d’assistance technique ». En ce qui concerne la Fondation Grameen Crédit Agricole, la nécessité d’adaptation s’applique tout particulièrement aux missions sur des thématiques environnementales : les risques environnementaux qui pèsent sur l’activité des partenaires varient grandement d’une région à l’autre, et même d’une IMF à l’autre. Il s’agit donc de concevoir un dispositif d’accompagnement d’assistance technique flexible et modulable en fonction des spécificités des institutions et de la conjoncture, sans imposer de thématiques trop précises et de méthodologies standardisées. Celui-ci doit être accompagné d’une large variété de financements possibles pour divers types de missions d’assistance technique. Un autre apprentissage répertorié dans la publication est la nécessité de réfléchir à des modèles de mesure de l’impact des missions autour des enjeux environnementaux, avec la formulation d’objectifs et d’indicateurs précis.
Pour définir des indicateurs communs pertinents, à la fois en termes d’impact direct et indirect à travers l’activité du portefeuille, il est nécessaire de s’accorder collectivement sur les bonnes pratiques et définitions communes. En particulier, le secteur peut porter une réflexion sur l’accompagnement et le développement d’une agriculture plus durable qui est sans aucun doute l’un des enjeux majeurs des pays les plus fragiles du continent africain.