La moitié du patrimoine économique mondial est détenu par 1% de la population. La concentration de la richesse entre les mains de quelques-uns continue de s’accélérer. Ce constat, sévère et indécent, remet en question un fondement de nos croyances économiques et sociales : non, la loi des marchés n’aboutit pas à un équilibre naturellement équitable ; non, la somme des intérêts particuliers ne converge pas vers le meilleur intérêt général possible. Rendre les riches plus riches ne profite pas au plus grand nombre, le soi-disant effet de « ruissellement » ne fonctionne pas autant qu’on l’imagine. Si le produit du capital bénéficie en premier chef à celui qui en détient la propriété, alors la croissance ne sera jamais répartie équitablement entre toutes les parties prenantes. Cette primauté propre au capitalisme moderne a signé une longue ère de développement économique, mais celle-ci a surtout été permise par l’exploitation de ressources épuisables. Ce temps s’achève. Nous ne pouvons plus échapper au questionnement des conséquences environnementales et sociales de notre machine à créer de la richesse.
Théorisé par le Professeur Yunus, prix Nobel de la Paix 2006, le « social business », modèle d’entreprise ou l’utilité sociale prime sur le rendement du capital investi, est expérimenté en tant que tel depuis une dizaine d’années. En France, ce modèle existe également. Dans l’ancien paradigme économique où l’individualisme était triomphant et sa conséquence la précarisation, généralisée, la rencontre entre la performance financière et sociale résonnait comme une contradiction, un paradoxe. Une lubie d’idéaliste. Et pourtant, leur rencontre, aussi singulière soit-elle, est une voie d’avenir pour repenser et redéfinir un capitalisme plus responsable et une économie volontairement inclusive.
L’entreprise sociale est très classique dans sa recherche de profitabilité. Elle est aussi très différente : car l’utilité sociale est son but primordial. Sa manière de créer durablement de la valeur réside dans sa capacité à mettre en oeuvre une utilité collective à l’origine de sa création.
La notion d’utilité en tant que « service rendu au client » est inhérente à toute entreprise commerciale. Parfois, l’utilité revêt même un caractère social mais cela reste pour les entreprises une stratégie d’efficacité. L’entreprise social business n’existe quant à elle que par et pour sa mission sociale, non plus dans son seul intérêt mais dans celui de toute la société. Cela se traduit par une sorte de contrat qu’elle passe ainsi avec son écosystème, point de départ de la construction d’un avenir en commun. Au-delà d’une rencontre et d’une ouverture qui dépassent les frontières de l’entreprise, l’entreprise sociale prodigue des effets positifs, de l’équité, des changements concrets et bénéfiques au plus grand nombre.
L’investissement à impact sous forme de prises de participation dans des entreprises sociales est un engagement prometteur mais risqué, difficile et patient. Le public et les investisseurs se sont longtemps laissés bercer par une fantasmagorie enthousiasmante. Certes l’idée est belle. Mais la réalité est coriace. La rentabilité des investissements est longue à atteindre, parfois incertaine, et les projets demandent un soutien financier constant pour se développer. S’engager dans l’entrepreneuriat social est une affaire de ténacité.
L’entreprise sociale recèle sans nul doute les prémices d’une mutation économique. Il existe de vrais champions d’entreprises sociales mais peu de prétendants franchissent la barre du succès, beaucoup en revanche se sont révélées être de formidables amplificateurs et diffuseurs d’une vision renouvelée de l’entreprise, animée par une énergie et un désir d’améliorer de préoccupantes situations sociales et environnementales.
Développer le social business passe par des outils de financement spécifiques tout autant que par le fait de s’adapter aux modes de financement classiques des banques généralistes. Pour cela, nous devons accepter une réelle révolution économique : l’utilité sociale doit pouvoir être comptabilisée dans les revenus de l’entreprise et dans son bilan financier. Concevoir cette intégration c’est accepter un vrai changement de paradigme dans le traitement de l’économie sociale. C’est probablement l’un des seuls moyens de diffuser un modèle d’économie socialement responsable nourrit de la dynamique entrepreneuriale.
L’entreprise sociale pourra ainsi plus clairement afficher sa performance opérationnelle et mobiliser des financements bancaires classiques. Le chemin que l’entrepreneuriat social nous invite à parcourir est celui d’un monde qui demande profondément à se régénérer. Le social business est une expression du capitalisme. Il est l’une de ses voix, la parole de ceux qui désirent découvrir les nouvelles sources d’un entrepreneuriat utile. Il est aussi la voie d’une économie libérale renouvelée au fil d’une exploration raisonnable, responsable et durable.
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