Par Fondation Grameen Crédit Agricole
La mise en place d’un observatoire dédié au suivi des effets de la crise sanitaire en relation avec 80 institutions de microfinance (IMF) et entreprises de social business partenaires dans une quarantaine de pays émergents nous permet de collecter régulièrement des informations pour les partager et en tirer les meilleurs enseignements.
Cette semaine nous avons plus particulièrement suivi la façon dont les institutions de microfinance utilisaient les canaux digitaux pour pallier à leur difficulté de contact direct avec les emprunteurs qui ont lieu traditionnellement soit en agence, soit lors des réunions de groupe ou bien encore, lors des décaissements de fonds (la microfinance utilise très majoritairement des espèces lors de la remise des sommes empruntées) ou du suivi des projets financés.
Dans notre enquête menée début avril, 68% des institutions de microfinance partenaires indiquent avoir accru l’utilisation des canaux digitaux pour pallier aux difficultés de contact, en conséquence des mesures de confinement ou d’interdiction de réunions de groupe. Cette croissance forte des usages que l’on observe dans le secteur de la finance traditionnelle s’observe donc également dans le secteur de la microfinance dont l’industrie s’adapte à marche forcée.
Les moyens technologiques et les processus incluant des outils digitaux sont en train d’être rapidement développés par des Institutions de toutes tailles (les plus petites ayant des tailles de portefeuille clients inférieures à 10 millions de $, les plus grandes dépassant très largement les 100 millions de $). Depuis le début de la crise, les institutions produisent des plans de continuité d’activité, base de nouvelles discussions et d’échanges avec leurs bailleurs de fonds, dans lesquels elles y incluent très fréquemment des nouveaux usages digitaux.
Pour la plupart des Institutions, la première étape est celle de la sensibilisation des clients à la possibilité d’utiliser des moyens de paiement à distance. Cette étape est mise en œuvre par l’intermédiaire de messages SMS (particulièrement adaptés pour des couvertures réseau en 2G) mais également par les réseaux sociaux, lorsque le réseau téléphonique le permet.
« [Nous] encourageons les clients par SMS à utiliser les plateformes d’argent mobile pour les remboursements car c’est le mode le plus sûr pour le moment » – IMF en Ouganda
« [Nous] commençons à informer les clients par les médias sociaux et les SMS sur la possibilité de remboursement via les terminaux, les portefeuilles mobiles et les services bancaires par Internet » – IMF au Tadjikistan
Pour les nombreuses IMF qui ne l’avaient pas encore dans leur gamme de services, le premier processus qui a été rapidement développé au début de cette crise sanitaire est celui du paiement des échéances par monnaie électronique. Cette pratique de paiements à distance est encouragée par de nombreux régulateurs, c’est notamment le cas de la Banque des États de l’Afrique Centrale (BEAC) pour les pays sous son autorité ou de la Banque Centrale des Etats d’Afrique de l’Ouest (BCEAO) qui a décidé la réduction des frais de transfert et d’utilisation de cette forme de monnaie. Cette mise en place de paiement à distance est accompagnée d’envois massifs de messages d’information à destination des clients pour leur expliquer ces nouvelles modalités.
« Nous envoyons de nombreux SMS à nos clients pour leur rappeler comment utiliser le code de l’argent mobile pour effectuer leurs remboursements de prêt ainsi que la hotline qu’ils peuvent appeler pour obtenir de l’aide ou se plaindre » – IMF en Ouganda
Ces services à distance permettent aux clients de payer leurs échéances sans avoir à se déplacer (et donc à utiliser les transports en commun) en utilisant le réseau des kiosques de paiement des opérateurs téléphoniques généralement dense et présents y compris en zones rurales.
La mise en place de ces moyens de paiement autorise également, désormais, le décaissement de prêts sur les portefeuilles électroniques des clients, ceux-ci se déplaçant dans ces mêmes kiosques non pas pour payer leurs échéances mais pour obtenir le décaissement en espèces de leurs microcrédits. En période de confinement, l’utilisation de la monnaie électronique permet donc de poursuivre l’activité de financement.
« L’Autorité monétaire palestinienne exhorte les Institutions de microfinance à octroyer des prêts à taux d’intérêt réduits pour financer des projets générateurs de revenus par le biais des canaux digitaux » – IMF en Palestine
Pourtant, de façon étonnante, cette crise est vécue par certaines institutions comme une véritable opportunité d’accélérer la mise en place de plateformes digitales et le lancement de nouveaux services pour gagner en optimisation opérationnelle voire même en excellence relationnelle. Pour les dirigeants des Institutions partenaires, devoir investir dans les outils digitaux pour des raisons aujourd’hui « vitales » pour leurs institutions leur semble être un moyen d’accélérer des plans d’investissement auxquels ils songeaient avant la survenance de la crise. Elle leur permet ainsi d’engager sans attendre la modernisation de leur modèle de distribution et de leur processus, ce qui n’a pas manqué de nous étonner très favorablement bien que nous connaissions la vitalité et la capacité d’innovation de nos partenaires.
« Cela avait été envisagé avant le problème du COVID […]. Cependant, des discussions sont maintenant en cours concernant la possibilité de lancer [la solution de paiement mobile] accessible à tous les clients » – IMF au Sri Lanka
« Dans des moments comme celui-ci, où tout peut être considéré comme un vecteur de transmission du virus, il est prudent de diminuer la manipulation des espèces. [Nous] avons donc profité de cette crise pour améliorer [notre plate-forme digitale] afin de détecter les lacunes et de réduire les failles de notre système » – IMF au Ghana
Les économies de certains pays qui étaient déjà fortement digitalisées, comme en Afrique de l’Est par exemple, semblent offrir une plus grande résilience aux effets de la crise. Les institutions de microfinance opérant dans ces zones affichent en effet une agilité d’adaptation remarquable. A titre d’exemple, l’économie kenyane, particulièrement ouverte aux opérations de paiement, de financement et d’investissement par le biais de porte-monnaie électroniques fonctionne selon des usages à distance qui minimise les risques de propagation du virus.
« Le Kenya est mieux préparé que les autres pays en raison de la forte pénétration de l’argent mobile. Le concept est largement utilisé par la population » – IMF au Kenya
De nombreuses institutions nous disent qu’elles seront plus structurées et plus efficaces au lendemain de cette crise. Ces expériences, quelquefois vitales pour poursuivre leur activité, leur paraissent très utiles pour envisager des gains de performance opérationnelle dans le futur.
« Notre équipe a adapté notre application mobile pour ajouter une fonctionnalité permettant de demander à distance la restructuration d’un prêt. […] Nous avons introduit un nouveau critère dans notre outil de surveillance – «urgence (coronavirus)», ce qui signifie que les agents de crédit devront surveiller leurs clients à distance, obtenir des informations et saisir des données de surveillance dans le logiciel » – IMF au Kazakhstan
« Notre nouvelle stratégie se concentre sur la transformation de [notre] mode de fonctionnement actuel pour adopter davantage de solutions numériques, réduire le besoin d’interactions physiques entre les employés et les clients et remplacer les transactions en espèces par des fonctionnalités de paiement mobile » – IMF en Géorgie
Ces effets positifs de la digitalisation obtenus grâce à des évolutions menées à marche forcée par les institutions de microfinance se retrouvent également dans les entreprises sociales de notre portefeuille de participations. La digitalisation des processus opérationnels est un moyen de lutter très efficacement contre les contraintes du confinement pour ses entreprises qui ont à traiter directement avec le public ou avec des fournisseurs de matières premières. C’est le cas par exemple d’une entreprise sénégalaise qui, grâce au paiement digital, voit ses activités de collecte de lait et de vente de produits laitiers se poursuivre et générer une croissance qui dépasse les prévisions.
Pour une autre entreprise sociale, spécialisée dans le traitement de l’eau potable, la crise sanitaire a également conduit au développement de livraison d’eau à domicile consécutivement à une commande en ligne.
Nos partenaires sont conscients que le recours aux solutions digitales n’est pas une solution globale pour répondre à toutes les questions soulevées par cette crise systémique. Ils s’attendent en effet à ce que leurs clients et leurs opérations rencontrent des problèmes de relance économique auquel le digital ne pourra être que d’une aide parfaitement relative. Malgré l’usage de plus en plus intensif des canaux digitaux, l’activité commerciale des Institutions de microfinance ralentit. Elles se concentrent toutes sur l’accompagnement de leurs clientèles en prenant soin de faire face, tout en conservant une maitrise du risque et une bonne qualité opérationnelle, aux demandes de reports d’échéances de plus en plus nombreuses.
Dans certaines zones, les autorités de tutelle ont émis des directives ou de fortes recommandations pour que les IMF octroient des moratoires à leurs clients pouvant durer plusieurs mois ce qui imposent une activité très importante aux institutions.
Pour autant, dans la majorité des témoignages que nous avons recueillis, la crise sanitaire est perçue comme une séquence qui impose aux différents Comités de direction de nos partenaires une réflexion profonde sur leur performance opérationnelle sous contrainte. Les expériences vécues et les solutions trouvées pour faire face à la crise sanitaire seront très utiles pour « le jour d’après », nos partenaires en sont persuadés.
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