Photo credit: Didier Gentilhomme
Par Micol Pistelli, HCR et Philippe Guichandut, Fondation Grameen Crédit Agricole
- Micol Pistelli est responsable de l’inclusion financière au HCR.
- Philippe Guichandut est secrétaire général de la Fondation Grameen Crédit Agricole.
Avec plus de 1,7 million de réfugiés et de demandeurs d’asile à l’intérieur de ses frontières, l’Ouganda accueille la plus grande population de réfugiés en Afrique et la cinquième au monde. Bien que le pays dispose d’un cadre réglementaire progressiste et favorable à l’inclusion socio-économique des personnes déplacées, les réfugiés se heurtent encore à des obstacles dans l’accès aux prêts aux entreprises et à d’autres services financiers et non financiers. Pour les institutions de microfinance (IMF), leur compréhension limitée des conditions socio-économiques des réfugiés représente un défi majeur qui les conduit souvent à les considérer comme des personnes de passage, dépendantes de l’aide humanitaire et dépourvues de documents fiables.
Pour contribuer à résoudre ces problèmes, il y a cinq ans, le SIDA (la coopération Suédoise), le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés) et la Fondation Grameen Crédit Agricole ont lancé un programme de financement mixte (blended finance en anglais) en Ouganda, le premier du genre, en s’appuyant sur les résultats d’une étude de marché réalisée un an plus tôt. L’approche caractéristique du programme combinait les contributions des donateurs et le capital des investisseurs dans le contexte des réfugiés. Il comprenait une subvention du Sida pour l’assistance technique et le soutien opérationnel, un soutien technique et logistique du HCR et un financement par l’emprunt de la Fondation Grameen Credit Agricole pour répondre aux besoins de liquidités des IMF qui prêtent aux réfugiés, ainsi qu’une supervision de l’assistance technique.
Quelques enseignements clés tirés de ce programme fructueux
Malgré un lancement dans des conditions difficiles – le COVID-19 a été suivi par des confinements stricts et des réductions des rations alimentaires qui ont exacerbé les vulnérabilités des réfugiés – le programme a atteint des taux de remboursement élevés, montrant que les réfugiés sont des emprunteurs fiables. Avec plus de 130 000 clients à la fois réfugiés et issus des communautés d’accueil, la qualité du portefeuille (PAR 30) n’a pas montré de différences majeures entre les deux groupes.
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Les taux ont varié d’un maximum de 11 % pendant les périodes difficiles à un minimum de 3 % à ce jour, les taux pour les réfugiés étant parfois encore plus bas. De plus, les agences situées dans les camps de réfugiés sont devenues pérennes au même rythme que celles implantées dans d’autres localités.
Ces résultats positifs permettent de tirer des enseignements précieux pour la structuration des programmes de financement mixte à destination des réfugiés.
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Les garanties de prêts ne sont pas la solution
Sur les marchés où les populations déplacées sont nombreuses, les garanties de portefeuille de prêts – qui offrent une protection contre les pertes potentielles – sont souvent le mécanisme privilégié par les banques de développement et les bailleurs de fonds pour encourager les IMF à prêter aux réfugiés, et c’est une option que nous avons envisagée avant de lancer notre programme en Ouganda. Cependant, nous avons décidé de ne pas adopter cette approche pour deux raisons :
- Les premières données de Kiva, datant d’il y a six ans, ont montré que les personnes déplacées de force étaient aussi solvables que les nationaux
- Nous craignions que les garanties n’incitent les IMF à assouplir leurs évaluations de crédit en faveur de l’expansion du marché, ce qui pourrait avoir des conséquences financières négatives pour les réfugiés et les clients des communautés d’accueil.
Bien qu’attrayantes pour les IMF, les garanties peuvent avoir des conséquences inattendues pour les clients. Si les IMF assouplissent les évaluations de crédit, les taux de défaut des clients risquent d’augmenter. Les réfugiés peuvent contracter des prêts inabordables, créant des cycles de surendettement et d’instabilité financière et endommageant leurs historiques de crédit. Des taux de défaut plus élevés peuvent également renforcer l’idée que les réfugiés sont des clients intrinsèquement risqués, ce qui limite l’accès futur aux prêts et justifie la nécessité d’imposer de nouveaux systèmes de garantie, créant ainsi un cercle vicieux. En outre, les garanties de prêt peuvent fausser le paysage financier en favorisant les grandes IMF, qui ont tendance à pouvoir y accéder, plutôt que de favoriser un environnement plus inclusif.
Les résultats de notre programme et les taux de remboursement élevés suggèrent que les garanties de prêt n’étaient pas nécessaires. Les programmes de financement mixte devraient plutôt se concentrer sur des incitations adaptées au marché, ce qui nous amène à l’enseignement suivant.
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Mettre en place des mesures d’incitation favorables au marché
Les mesures incitatives favorables au marché visent à encourager l’engagement des IMF auprès des clients réfugiés. Elles peuvent aider les IMF à surmonter les difficultés logistiques liées à leur activité dans les camps de réfugiés et à explorer des solutions innovantes, telles que les services bancaires mobiles et les prêts numériques, qui sont particulièrement utiles dans les zones reculées. En Ouganda, proposer des formations s’est révélé important , car le succès du programme dépendait du renforcement de la capacité des IMF à servir efficacement les clients réfugiés.
Les mesures d’incitation favorables au marché prévues dans notre programme comprenaient un financement destiné à couvrir une partie des coûts pour :
- L’établissement de succursales dans les zones d’installation de réfugiés;
- L’achat d’équipements;
- Le développement de produits financiers numériques;
- La production de matériel de marketing, tel que des brochures et des dépliants dans la langue des réfugiés;
- La formation afin d’améliorer la compréhension du personnel sur les défis uniques des réfugiés.
3. Les données sur les besoins, les comportements et les aspirations des clients sont essentielles
Un autre facteur déterminant dans le succès du programme a été l’évaluation initiale du marché réalisée il y a six ans, ainsi que les études ultérieures réalisées par les IMF participantes, VisionFund et Ugafode.
L’évaluation par VisionFund de 6 700 réfugiés membres de groupes d’épargne existants a révélé que ces communautés possédaient une capacité financière suffisante pour être des clients fiables, ayant accès aux marchés quotidiens et hebdomadaires dans les camps, à une bonne couverture réseau, à des agents de mobile money et à des groupes d’entrepreneurs. L’évaluation du marché a également montré que le “risque de fuite” des réfugiés était largement surestimé. La plupart des réfugiés n’avaient pas l’intention de retourner dans leur pays d’origine ou de s’installer ailleurs, et cherchaient avant tout à atteindre l’indépendance économique. Notre programme a confirmé cette conclusion, puisque les quelques cas de réinstallation n’ont pas eu d’impact significatif sur la qualité du portefeuille.
Ces études ont fourni des informations essentielles sur les comportements et les aspirations financières des réfugiés en Ouganda, révélant qu’il n’était pas nécessaire de développer des produits financiers spécifiques aux réfugiés. Les IMF devaient plutôt adapter leurs produits et procédures existants pour les rendre plus accessibles aux réfugiés.
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Les produits existants peuvent être rendus plus accessibles aux réfugiés
Bien que le programme n’ait pas mis en évidence le besoin de produits dédiés aux réfugiés, certaines modifications ont été nécessaires pour rendre les produits existants plus accessibles :
- Ajustement des politiques et procédures internes afin d’accepter les cartes d’identité des réfugiés dans le cadre de la conformité KYC
- Mise à jour des systèmes d’information de gestion (SIG) pour assurer le suivi du segment des réfugiés
- Flexibilité accrue en termes d’exigences en matière de garanties
- Formation du personnel de première ligne sur la manière d’étendre les services à ce nouveau segment
VisionFund a introduit le produit FAST (Finance Accelerating Savings Groups Transformation), qui fournit des prêts à des groupes d’épargne sans exiger de garantie traditionnelle. Au lieu de cela, l’épargne collective des groupes a été utilisée comme garantie, rendant le produit plus accessible aux réfugiés. De même, UGAFODE a adapté ses produits de prêt, tels que le « Smart Woman Loan » et le « VSLA Loan », pour offrir des garanties flexibles, ce qui a aidé les réfugiés, en particulier les femmes, à accéder aux services financiers.
L’étude de marché initiale a également souligné l’importance des services non financiers, tels que la formation à l’éducation financière, la finance numérique et le développement des entreprises, pour les réfugiés ayant une expérience limitée des systèmes financiers formels. Ces services ont été fournis en partenariat avec des ONG et des organisations locales de réfugiés.
Collaborer pour que les IMF soient prêts à accueillir des réfugiés
En nous appuyant sur notre expérience en Ouganda, nous affirmons que les garanties ne devraient pas être le principal moyen d’inciter les IMF à servir les réfugiés. Si les garanties peuvent être utiles pour cibler des sous-segments spécifiques, tels que les PME ou les start-ups sur des marchés plus risqués, qu’elles soient ou non gérées par des réfugiés, une approche différente est nécessaire pour rendre les IMF “prêtes pour les réfugiés”.
À cette fin, les bailleurs de fonds, les banques de développement, les agences humanitaires et les investisseurs devraient collaborer pour créer des systèmes de financement mixte qui privilégient la compréhension des conditions socio-économiques des réfugiés. Ces programmes devraient fournir des incitations favorables au marché en soutenant les études de marché et en couvrant une partie des coûts opérationnels initiaux des IMF liés à la fourniture de services aux réfugiés.
Les IMF partenaires de notre programme continuent d’étendre leur portée auprès des réfugiés et des communautés d’accueil. Nous espérons mener une étude d’impact sur les résultats financiers pour la population cible au-delà des résultats présentés dans ce blog.
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Pour en savoir plus :
Le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR) est mandatée par les Nations Unies pour coordonner l’action internationale en faveur de la protection des réfugiés. L’organisation fournit de l’aide de première nécessité, contribue à la garantie de droits fondamentaux et développe des solutions visant le bien-être de ses populations cibles. L’UNHCR travaille dans 128 pays au nom de 74.1 millions de personnes.
//www.unhcr.org/ / @Refugees
L’Agence Suédoise de Développement International (Sida) est un opérateur travaillant au nom du parlement et du gouvernement suédois et ayant pour mission la réduction de la pauvreté dans le monde. A travers ses actions et en coopération avec d’autres acteurs, elle contribue à la mise en place de la politique Suédoise pour le développement international. L’Agence est présente dans 35 pays en Afrique, Asie, Europe et Amérique Latine.
www.sida.se / @Sida