2 février 2018

Par Juliette Charrier, Fondation Grameen Crédit Agricole

Lorsqu’on entre dans une fondation d’impact social, on entre avec beaucoup d’idées reçues et d’idéalisme. C’était du moins mon cas. J’allais enfin connaître la recette de l’impact, qualitatif et quantitatif, pour enfin trouver des modèles qui ont du sens, efficaces pour lutter contre la pauvreté, performants financièrement et qui alignent les intérêts de tous les acteurs de la chaîne de valeur. Douche froide. Rien n’est tout blanc ou tout noir, avoir de l’impact est difficile et nous n’avons pas encore trouvé de recette magique. Mais, étape par étape, on se rend compte qu’il est bien possible de contribuer au développement économique de pays émergents, soutenir des entreprises qui créent des opportunités économiques, qui rémunèrent de manière inclusive et équitable leurs parties prenantes.

Tout d’abord, les désillusions : nous a-t-on menti pendant 10 ans ? Les entreprises de social business peuvent-elles réellement concilier croissance rentable et impact social ? Au premier coup d’œil sur notre portefeuille, on a envie de baisser les bras et de se demander : ne sommes-nous pas en train de créer une bulle spéculative financière et sociale sur le concept du social business, en affirmant que cela fonctionne alors que les chiffres ne sont pas au rendez-vous? Désespoir et perte de confiance.

Ensuite, en creusant les sujets et en s’imprégnant de chaque entreprise de social business, on se rend compte qu’il y a de fortes et concrètes améliorations, parfois opérationnelles, parfois sociales, parfois les deux… hors cas extrême, il y a des résultats. C’est rassurant, enthousiasmant. Regain d’espoir envers les entreprises de social business.

Résultats certes, mais tout de même bien en dessous des attentes. On réfléchit donc aux moyens à mettre en œuvre, on se rend compte que c’est un chemin de longue haleine et qu’il faut être bien accompagné. On conclut également qu’il y a autant de situations dans les social business que de variables à rassembler pour s’assurer de leur succès. Mais sommes-nous les seuls dans ce cas-là ?

Déphasage : Certains fonds à impact assurent avoir un vrai impact social et des rendements de marché : comment est-ce possible? Deux apprentissages : 1) la notion d’impact investing est très large et va des « investissements qui ne font pas de mal, aux investissements qui cherchent à tout prix à faire du bien ». 2) la Fondation Grameen Crédit Agricole finance davantage des start-up sociales que des entreprises ou programmes sociaux. La Fondation appartient donc bien à « l’impact investing », dans le sous-compartiment « social business », mais plus précisément dans le tiroir Seed-Capital Risk à Impact Social, par ses tickets moyens bas et le caractère entrepreneurial des entreprises investies. Quand on se rend compte que les fonds de Venture Capital comptent sur une entreprise « unicorne » pour réaliser la plus-value qui absorbera les coûts d’une dizaine d’investissements moins fructueux, tout en dégageant si possible des retours pour rémunérer dirigeants et actionnaires, tout cela dans des économies florissantes et développées… on mesure le challenge que se fixent les Fonds de Seed Social Business dans les pays émergents.

Est-ce un problème de moyens financiers ? Les fonds d’investissement investissent-ils trop peu pour réellement permettre aux entreprises de Social Business de se développer, se structurer et créer un business ? D’après le rapport du GIIN, les taux de rentabilité interne (IRR) ne varient pas en fonction de la taille totale des fonds mais peuvent varier en fonction de la taille des investissements.

Est-ce un problème de moyens extra-financiers ? L’isolement de l’entrepreneur et le manque d’accompagnement qualifié ? Comment tirer des leçons avec des investissements aussi divers en termes de profil du dirigeant, marché adressé, contexte socioéconomique, valeur ajoutée de l’entreprise, bénéficiaires ciblés etc ?

Et quand bien même tout cela fonctionnerait, les entreprises de social business sont-elles le meilleur moyen d’obtenir de l’impact ? Ne vaut-il pas mieux essayer de changer les méthodes et pratiques des grands groupes déjà résilients dans les pays émergents pour avoir un vrai impact à échelle ? Intégrer de nouvelles parties prenantes comme des nouveaux segments de clients et de fournisseurs pourrait au final avoir plus de portée.

Au final, on grandit, en comprenant que l’objectif n’est pas d’avoir l’impact social le plus rentable, mais de contribuer au développement économique de pays émergents, en intégrant à des chaînes de valeur des acteurs préalablement exclus, en créant des emplois et en donnant accès à des biens essentiels au plus grand nombre. L’essentiel est que l’on se retrouve dans un milieu stimulant, où les situations évoluent rapidement, où l’on tâtonne à la recherche de mécanismes fructueux, où l’on tente de renforcer les entreprises de social business par des partenariats enrichissants, à la recherche de l’équilibre financier et de la maximisation de l’utilité sociale, et où l’innovation est partout présente.

Des nouvelles du front

Les clients des entreprise des Social Business = 100% des bénéficiaires ? Pas forcément ! Dans les entreprises de social business, on pense souvent que les clients sont les bénéficiaires. Ce serait l’idéal pour maximiser l’impact. Mais pour permettre à l’entreprise d’avoir un impact, il faut avant tout qu’elle puisse opérer avec un minimum de rentabilité pour couvrir ses frais. Ainsi, on se rend compte qu’afin de diversifier son risque et de renforcer l’entreprise, il est préférable que l’entreprise s’adresse à différents segments de la population, des bénéficiaires et des clients « traditionnels ». C’est du moins l’avis d’OikoCredit qui recommande de commencer un social business dans le domaine de l’accès à l’énergie solaire en s’adressant d’abord aux clients qui ont les moyens financiers, pour ensuite inclure le segment BOP (Bottom of Pyramid) dans leur business model.

Les défis d’impact social ne sont pas toujours là où on les attend. Lorsque que l’on cherche à inclure une population marginalisée dans une chaîne de valeur agricole, pour améliorer ses revenus et conditions de vie, on pense d’abord à la nécessité d’améliorer les moyens des petits agriculteurs. Certes, se fournir en intrants, préparer et cultiver un champ demande du temps et de l’argent, mais ces étapes ne se révèlent pas être le plus grand frein auquel les petits agriculteurs marginalisés font face. Selon le Directeur Général de Selina Wamucii, une entreprise d’export de fruits et légumes au Kenya, le réel facteur d’exclusion des petits producteurs est le difficile accès aux débouchés économiques. En effet, alors que les ONG, fonds à impact et gouvernements se mobilisent pour financer l’amont de la production, ils devraient également s’assurer de l’aval, car si la demande du marché est forte, cela rassurera les petits producteurs qui n’auront plus peur de contracter un crédit sans l’assurance d’un revenu économique plus tard.

Ne vous laissez pas éblouir par l’énergie solaire. L’accès à l’énergie solaire est en plein essor depuis quelques années. En effet, elle donne accès, à un prix compétitif, à de l’énergie propre pour des populations marginalisées ou hors réseau. Elle permet aussi l’inclusion financière de segments non bancarisés via le paiement mobile et des mécanismes de PAYG (pay as you go). C’est indéniable, l’énergie solaire a bien des effets positifs. Cependant, il est important de ne pas survendre l’impact social de l’énergie solaire : en effet, vendre des panneaux solaires à un agriculteur lui permettra bien d’avoir un meilleur éclairage, mais ne sera pas pour autant générateur de revenus. Un petit producteur aura en priorité besoin d’énergie pour irriguer ses champs, labourer sa parcelle et vendre ses produits rapidement et à un prix équitable. Il est donc important de ne pas tomber dans la surenchère de l’impact ; l’énergie solaire améliorera les conditions de vie des bénéficiaires, mais ne sera pas forcément génératrice de revenus.

Après huit années d’activité dans le social business, la Fondation Grameen Crédit Agricole a souhaité tirer les leçons de son expérience et les partager … ! Elle présente donc les défis auxquels ces entreprises de social business font face. La Fondation formule des propositions pour renforcer ce modèle prometteur.

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Sources
//nextbillion.net/theres-no-app-to-fix-farming-a-lifelong-smallholder-shares-what-social-business-is-getting-wrong/
//nextbillion.net/are-financial-returns-starting-to-compete-with-social-goals-an-impact-investor-assesses-its-involvement-in-off-grid-solar/