Par Amélie Riou et Alice Forgeois, Fondation Grameen Crédit Agricole
Quand on pense microfinance, on peut penser petits prêts, pour des populations n’ayant pas accès au crédit, seulement dans les zones les plus reculées et abandonnées, par de petits opérateurs gérant les encours de leurs clients sur du papier ou des vieux ordinateurs, seulement pour financer une activité professionnelle. Bref, rien de révolutionnaire ni d’innovant ? Détrompez-vous ! La microfinance ne cesse d’évoluer et de s’adapter à son environnement : meilleures relations et protections des clients, services digitaux et offre de produits innovants pour répondre rapidement aux besoins essentiels. Laissez-vous surprendre !
Microfinance et GAFA*, une histoire d’amour possible ?
La microfinance n’est plus la chasse gardée des ONG et des institutions de microfinance spécialisées. Du moins, plus exclusivement. Pour le meilleur… ? De nouveaux acteurs, des géants de l’internet, du mobile, du digital, s’intéressent à la microfinance et proposent des microcrédits. Facile, ils connaissent bien leurs clients et peuvent échanger informations et argent très rapidement avec eux. Quelques exemples:
Baidu, le google chinois, distribue des microcrédits au travers de sa filiale Chongqing Baidu Micro Finance afin de surfer sur la vague du crédit à la consommation qui croît solidement en Chine et qui représentait, en septembre 2017, un marché de 30,2 milliards de yuan (3,9 milliards d’euros). Baidu a déclaré utiliser le big data, l’apprentissage automatique et la technologie de reconnaissance faciale pour l’aider dans l’évaluation du dossier crédit des emprunteurs potentiels. Les microemprunteurs remboursent directement via une application « portefeuille » et la demande de prêts se fait en ligne. Ces prêts sont souvent destinés à financer des études dans les institutions privées (formations d’anglais, formations professionnelles ou formations IT).
En parallèle, Amazon a annoncé, en septembre 2017, un partenariat avec Bank of Baroda (Inde) afin de proposer des microcrédits aux vendeurs particuliers inscrits sur la plateforme. A ce jour, les prêts sont proposés à des vendeurs qui remplissent un certain nombre de critères (date de création du compte Amazon, historique des ventes du vendeur, retours clients, vendeur conforme aux règles e-commerce d’Amazon). Les vendeurs indiens pourront directement utiliser les profits de leurs ventes pour rembourser leur prêt. Amazon souhaite capter 15 à 20% des clients d’Amazon India en un an… ! Attention, le digital peut être un canal pour le développement de la microfinance, mais pourrait finalement être un facteur d’exclusion financière supplémentaire, enregistrant et mettant à disposition un grand nombre d’informations et l’historique des emprunteurs…
Microfinance et macro-services ?
Microfinance verte, micro-nutrition, assurance agricole… Aucun lien entre ces différents thèmes à priori ? Et bien si. Ces services font maintenant partie intégrante des activités des institutions de microfinance (IMF) et viennent compléter l’offre du crédit traditionnel. Fini le schéma classique et bienvenue dans la microfinance 2.0 ! Grâce à la diversité géographique des IMF, la proximité qu’elles entretiennent avec chaque client et leur fort ancrage rural, la microfinance devient un canal privilégié pour la distribution de nouveaux services.
Une équipe de chercheurs a récemment souhaité savoir s’il était possible de se servir du réseau des IMF pour lutter contre la malnutrition, celle-ci étant presque toujours liée à la pauvreté dans les pays en développement. L’équipe a donc mis à la disposition des institutions des micronutriments contenant 15 vitamines et minéraux essentiels et a ensuite mesuré l’impact de cette distribution par prélèvement sanguin. Suite à cette étude, ce réseau de distribution est apparu comme très efficace pour lutter contre la malnutrition. Pour conforter les résultats, une étude va être menée sur tout le territoire de Haïti. De belles évolutions en perspective !
Très peu répandue en Afrique mais avec des évolutions potentielles immenses, la microassurance agricole propose aux petits producteurs d’assurer leur récolte contre différents risques (événements climatiques, maladies, etc). Comment démocratiser l’accès à la microassurance ? Par la microfinance justement : le produit d’assurance peut être proposé au client couplé à un microcrédit.
L’offre de produits de crédit s’est également beaucoup étoffée depuis quelques années : microcrédits spécifiques pour l’accès à l’énergie renouvelable, à un logement décent, etc. Un panel de produits de plus en plus large qui permet de couvrir au mieux les besoins des populations, sur des plans tous aussi différents que nécessaires.
La microfinance : vers de nouveaux horizons ?
Historiquement destinée aux pays en voie de développement, la microfinance est aussi présente en Europe.
Pourquoi ? Elle est présentée comme une des possibles réponses à la crise économique, au malaise social ou à l’exclusion financière et est soutenue par les Etats. Par qui ? Grâce notamment à des établissements financiers non bancaires et des ONG. Pour qui ? D’après le 8ème Baromètre de la microfinance de Convergences, l’encours du portefeuille brut de microcrédits en Europe s’élève à 2,5 milliards d’euros, dont 71% destinés à des fins professionnelles pour des personnes qui disposent d’un accès limité aux ressources financières. Sous quelles modalités ? Les conditions et modalités de ces prêts varient beaucoup entre les différents états européens : de 3% en Pologne, Finlande et France à 28% en Serbie, avec des prêts moyens par emprunteur variant d’une centaine d’euros à un maximum de 25 000 euros. En plus des microcrédits, ces IMF européennes proposent de plus en plus des services additionnels, tels que l’épargne, l’assurance, etc.
En plus de s’étendre à de nouveaux pays, la microfinance s’adapte aux pays dans lesquels elle est déjà présente depuis de nombreuses années : la microfinance islamique se développe. Pourquoi ? Afin de satisfaire des bénéficiaires potentiels n’ayant pas recours à la microfinance traditionnelle du fait de leurs croyances religieuses. Comment ? En adaptant le schéma classique de la microfinance afin de commercialiser des produits qui respectent les lois de la Sharia, principalement en retirant la notion de taux d’intérêt des produits proposés. Quelles perspectives ? Encore minoritaire par rapport à la globalité du secteur, le marché de la microfinance islamique croît rapidement dans de nombreux pays. Les trois pays pionniers de cette microfinance sont l’Indonésie, le Liban et le Bangladesh mais le modèle devrait s’étendre afin d’améliorer l’inclusion financière de tous. Quels impacts ? La portée de ce nouveau type de microfinance est très importante dans les pays musulmans quand on sait, par exemple, qu’environ 56% des marocains refusent de faire appel à la microfinance pour des raisons religieuses.
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