Par Fondation Grameen Crédit Agricole
Créée en 2008, à l’initiative conjointe de Crédit Agricole SA et du professeur Yunus, fondateur de la Grameen Bank et prix Nobel de la paix 2006, la Fondation Grameen Crédit Agricole est un opérateur engagé dans la promotion d’une économie mieux partagée.
Investisseur, bailleur de fonds, prestataire d’assistance technique et conseiller en fonds, la Fondation compte plus de 80 partenaires (institutions de microfinance et social business) et opère dans une quarantaine de pays avec près de 100 millions d’euros d’encours de financement. La Fondation se concentre sur les institutions de microfinance au service des femmes et des populations rurales. Ces institutions soutiennent environ 4 millions de clients.
Le secteur de la microfinance est exposé et inquiet
Le 19 mars, selon les chiffres à cette date de Santé Publique France, le coronavirus a atteint 213 00 personnes dans le monde. 8 800 décès sont à déplorer. Après avoir annoncé la fermeture de nombreuses institutions et entreprises, des mesures de confinement continuent d’être prises dans le monde. L’Afrique et l’Amérique du Sud n’ont pas été officiellement touchées par le virus pendant longtemps, mais elles sont aujourd’hui confrontées à cette pandémie avec des centaines de cas déjà identifiés.
La crise sanitaire mondiale devient peu à peu une crise économique. Les activités économiques sont ralenties dans tous les pays et les bourses ont perdu près d’un tiers de leur valeur en moins d’un mois. Le secteur de la microfinance va être sans aucun doute durement affecté par les effets de cette crise mondiale.
L’équipe de la Fondation Grameen Crédit Agricole a rapidement lancé une enquête auprès de ses partenaires le 11 mars dernier afin de recueillir leurs premières impressions et analyses, l’impact sur leur activité de financement, l’activité de leurs clients et l’anticipation des besoins et des difficultés à venir. Toutes les informations contenues dans cet article proviennent de cette enquête. 56 Institutions de microfinance (IMF) y ont répondu, sur 75 partenaires interrogés (taux de participation de 75%). Les dernières réponses ont été reçues le 19 mars.
Tous nos partenaires traduisent dans leurs réponses une réelle inquiétude sur les effets attendus de cette crise sanitaire mondiale.
Les décisions des gouvernements locaux impactent déjà les petites activités génératrices de revenus
48% des IMF interrogées ont estimé que leurs clients étaient d’ores et déjà touchés par les effets de l’épidémie du coronavirus au moment de l’enquête, et 68% d’entre eux pensent qu’ils le seront dans un avenir proche. Dans de nombreux pays d’intervention, les gouvernements ont décidé de fermer des écoles ainsi que les activités non essentielles, de restreindre les déplacements ou d’interdire les rassemblements. C’est notamment déjà le cas au Sri Lanka, au Cambodge, en Roumanie, au Myanmar, en Sierra Leone, en Jordanie, au Mali et dans d’autres pays en activité. Ces changements ont lieu partout aujourd’hui et chaque jour de nouveaux pays sont ajoutés à cette liste.
De telles décisions ont d’ores et déjà un impact direct sur les clients de nos partenaires. De nombreux emprunteurs des services de microfinance dépendent des importations pour leur activité commerciale. Les fermetures de frontières et les interdictions de voyager ont des effets directs sur leurs activités. L’interdiction de voyager en Chine affecte non seulement les pays asiatiques mais aussi les pays africains.
“Comme la frontière avec la Chine a été fermée, certains prix des produits agricoles diminuent, de sorte que nos clients agriculteurs n’obtiennent pas de bons prix pour leur récolte.” – Institution de microfinance du Myanmar
“Nous avons des clients qui voyagent pour leurs achats (Chine, Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, …). Les commerçants du secteur informel ont peur et cela peut affecter leurs activités.” – Institution de microfinance du Burkina Faso
L’impossibilité de se rassembler impacte toutes les opérations qui ont lieu dans les marchés et les foires. Les commerçants sont interdits d’exercice de leurs activités et n’ont pas de revenus alternatifs. L’interdiction de voyager affecte fortement le tourisme mondial et en conséquence toutes les petites activités de proximité dépendantes du tourisme (hôtels, chauffeurs, guides, restaurants, vendeurs de souvenirs…). Les transferts de fonds diminuent, ce qui affecte également des familles restées dans les pays d’origine qui dépendent, en grande partie, de ces transferts.
“ Si l’interdiction de voyager se poursuit dans la région du Golfe et en Europe, l’économie de la Jordanie risque de souffrir car elle dépend aussi des revenus du tourisme et des transferts de fonds du Golfe” – Institution de microfinance de Jordanie
A l’exception d’un cas, nous n’avons pas eu d’information sur la mise en œuvre d’éventuels plans d’atténuation économique qu’auraient mis en place les autorités locales, ce qui témoigne probablement d’une difficulté à ajuster ou à intervenir dans ce cadre, probablement aussi d’un manque de données précises ou de moyens budgétaires disponibles. Le seul exemple précis qui nous a été fourni est celui de la Palestine. À travers huit lignes directrices, l’Autorité monétaire palestinienne est intervenue en exhortant les sociétés financières à continuer de fournir des services de prêt aux personnes pour assurer la poursuite du cycle commercial et économique et envisager le report des paiements mensuels périodiques de tous les emprunteurs pour les quatre prochains mois (six mois pour le tourisme et le secteur hôtelier). Les mesures prévoient également qu’aucun frais, commission ou intérêt supplémentaire sur les versements différés ne saurait être perçu pendant la période.
L’activité des institutions financières pourrait se contracter
Bien que préoccupées par l’évolution de la crise et ses premiers signes, 59% (33) des IMF interrogées ont indiqué que leur activité n’était pas encore affectée par l’épidémie à la date de l’étude (entre le 11 et le 19 mars). 23 IMF (37%) se sentaient préoccupées au moment de cette enquête, donnant plusieurs explications telles que le risque pour le personnel de terrain, les déplacements restreints, le travail à domicile.
L’une des principales préoccupations est l’interdiction des réunions qui affectera toutes les institutions dont la méthodologie de microfinance est basée sur une approche de « groupe caution solidaire ». Certains partenaires s’adaptent déjà en nommant des représentants des groupes pour limiter les réunions ou en s’appuyant sur des « représentants de groupe » parmi leurs clients.
Dans certains pays où aucune décision claire n’a encore été prise, les IMF envisagent de reporter les décaissements si leurs agents de crédit ne sont pas en mesure de voyager ou doivent adapter temporairement leur processus de recouvrement.
“Pendant la période d’urgence jusqu’au 29 mai 2020, les réunions du centre client n’auront pas lieu comme d’habitude. Au lieu de cela, la méthode «Pay and Go» a été mise en place de la façon suivante : seuls les clients « chefs de groupe », de deux à quatre personnes par centre de 15 à 20 clients en général, sont invités à se rendre à la réunion habituelle du centre. Ce sont les chefs de groupe qui percevront l’acompte de leurs membres ”. – Institution de microfinance d’Indonésie
“Nous avons mis en place une procédure spéciale pour rencontrer individuellement les membres des groupes de caution solidaire. Nous fournissons des conseils aux clients sur la meilleure façon de faire face à la situation” – Institution de microfinance du Sénégal
Nos partenaires doivent également s’adapter à la situation rencontrée par leurs collaborateurs en veillant avant tout à sauvegarder leur santé. Les risques de transmission de virus sont un facteur important à prendre en compte pour l’activité des agents de crédit. Les réponses au questionnaire montrent que les règles de confinement empêchent directement et immédiatement le bon déroulement de l’activité pour tous les services des institutions. Certains membres du personnel travaillent déjà à domicile dans certaines nstitutions.
“Almaty, où se trouve le siège social, sera en quarantaine à partir du 19 mars, les employés travailleront à distance” – Institution de microfinance du Kazakhstan
“Le personnel sur le terrain court un risque important de contracter le virus. Les employés hésitent donc à travailler avec les clients. La mise en quarantaine frappera l’ensemble du marché des IMF” – Institution de microfinance en Ouganda
Le portefeuille à risque et les besoins de liquidité sont sous vigilance
Beaucoup d’institutions se déclarent préoccupées par la montée des risques. Mais selon notre enquête, au moment de répondre, seules 11 IMF (20%) notaient une augmentation du portefeuille à risque. Nos partenaires africains ont semblé davantage préoccupé que leurs pairs des autres continents. En revanche, un grand nombre d’entre eux sur toutes nos zones d’intervention (40 pays sur 3 continents, Afrique, Asie, Europe), sont inquiets pour l’avenir : 36 IMF (64%) prévoient une augmentation du portefeuille à risque.
“Nous allons probablement enregistrer une augmentation potentielle du portefeuille d’impayés et une réduction de la demande de crédit. Cette augmentation des impayés devrait être de l’ordre de 2% mais la croissance de notre portefeuille va sans aucun doute ralentir” – Institution de microfinance du Cambodge
Étonnamment, quelques partenaires considèrent qu’ils ne courent pas plus de risques que d’habitude. Ces réactions proviennent d’institutions qui sont majoritairement implantées en zones rurales.
“De manière générale, nos clients étant principalement des ruraux (70%), nous prévoyons qu’ils ne connaîtront pas de forte détérioration d’activité ou de revenus en raison de la hausse des prix de leurs produits agricoles. Nous y verrons plus clair dans la seconde moitié d’avril.” – Institution de microfinance du Kyrgyzstan
“Au 16 mars 2020, nos activités se poursuivent comme d’habitude. Nous n’avons pas encore vu d’impact sur le remboursement des prêts au Cambodge, notamment Siem Reap et Phnom Penh. Cependant, nous nous attendons à une certaine augmentation à Siem Reap à partir de la fin de ce mois. Dans cette zone du pays toutefois, nos clients vivent principalement dans des zones rurales. L’exposition que nous avons sur le tourisme, l’hôtellerie et l’industrie des services est minime.” – Institution de microfinance du Cambodge
Cette crise sanitaire va avoir un impact sur les besoins de liquidité des institutions. Selon notre enquête, 29 IMF (52%) prévoient une évolution de leurs besoins de financement. La plupart des IMF de petite taille (portefeuille inférieur à 10 Millions de dollars) ne prévoit pas de changements dans le temps. Leur taille semble être un facteur d’agilité mais nous sommes attentifs à ce point qui ne nous semble pas particulièrement évident. La majorité des institutions de taille moyenne (taille du portefeuille entre 10 et 100 millions de dollars) prévoit des modifications dans leurs besoins de financement auprès des bailleurs de fonds (dont la Fondation Grameen Crédit Agricole). De nombreuses Institutions s’attendent à des problèmes de refinancement de leurs activités. Un renchérissement des mécanismes de couverture de change est attendu et des discussions avec les différents prêteurs sont ou vont être engagées d’ici peu.
“ Indirectement, le taux de change devient très volatile en raison de l’épidémie. Nous avons une hausse des demandes de microcrédits en dollars US et une diminution des demandes en monnaie locale, ce qui affecte le volume de prêts que nous pouvons décaisser.” – Institution de microfinance du Myanmar
Des problèmes de liquidité sont anticipés. En effet, le non-remboursement par les bénéficiaires de microcrédit pourrait constituer un obstacle à la possibilité de décaisser de nouveaux prêts. La hausse des provisions pour risques et pertes potentielles est perçue comme un obstacle pour obtenir de nouveaux financements en provenance des bailleurs de fonds habituels.
“Si la situation se poursuit jusqu’au milieu de l’année, nous aurons besoin de liquidités car la plupart des actifs liquides auront été supprimés par un provisionnement élevé pour les actifs dépréciés (pertes attendues) en raison de la hausse du non-remboursement” – Institution de microfinance en Ouganda
” Le non-remboursement des prêts entraîne une diminution de la liquidité. Oui, nous avons pris des mesures pour limiter cette situation potentielle” – Institution de microfinance du Mali
Le secteur de la microfinance en appelle à des mesures adaptées
Certaines IMF ont déjà demandé à la Fondation s’il était possible d’aider leurs institutions à traverser la période ou les effets de la pandémie seront les plus rudes.
“Nous aimerions bénéficier de conseils sur la façon d’éviter la maladie et sur les traitements disponibles et efficaces pour le traitement en cas d’infection” – Institution de microfinance du Benin
“Nous souhaiterions que la Fondation Grameen Crédit Agricole compile des informations sur les mesures de à mettre en place pour éviter le corona virus, et aussi, concernant les institutions du monde entier, sur la façon de relever les défis qui nous attendent.” – Institution de microfinance en Ouganda
Un partenaire a rappelé que lors de catastrophes naturelles passées, il y avait eu des mesures particulièrement adaptées qui avaient été mises en place. Certaines, qui peuvent paraitre contre-intuitives, avaient donné lieu à une augmentation des financements pour permettre aux clients de se remettre des chocs et dépasser cette période difficile. Assécher les financements n’aurait qu’un effet d’intensification des difficultés et des impacts de la crise.
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