18 mai 2020

Par Fondation Grameen Crédit Agricole

En avril dernier, l’étude d’Africa’s Pulse, revue du groupe de la Banque Mondiale, estimait que la croissance économique en Afrique subsaharienne passerait de +2,4% à une fourchette comprise entre -2,1% et -5,1% ce qui constituerait la première récession dans la région depuis 25 ans. Cette récession devrait frapper les pays dépendants des exportations minière et pétrolières tandis que les pays ne disposant pas de ressources naturelles devraient afficher une croissance ralentie mais positive.

La Fondation Grameen Crédit Agricole, en lien permanent avec son réseau de 80 institutions de microfinance (IMF) et entreprises sociales partenaires présentes dans 40 pays, continue son travail de collecte d’informations, d’analyse et de partage de ses observations. Les témoignages privilégiés de nos partenaires nous permettent de continuer notre suivi de la crise et de ses conséquences. Sur ce dernier questionnaire nous nous sommes concentrés sur deux aspects particuliers : les adaptations opérationnelles des IMF et le rôle des agents de crédit pendant cette crise.

En synthèse

La crise économique est devenue une réalité pour la grande majorité des institutions de microfinance accompagnée par la Fondation Grameen Crédit Agricole. Elles ont quasiment toutes mis en place des programmes massifs de reports d’échéance pour faciliter la reprise économique de leurs emprunteurs.

Les agents de crédits de ces Institutions constituent le point de contact privilégié entre les clients et les institutions de microfinance. Ils passent près de la moitié de leur temps de travail à étudier les demandes de reports des échéances de crédits et à les mettre en place.

Les institutions ont rapidement adopté des programmes d’allègement de leurs charges, en veillant à la protection sociale de leurs employés et à la sauvegarde des emplois. Seules 12% d’entre elles ont procédé à des licenciements économiques de collaborateurs ce qui est relativement faible comparativement aux moyennes nationales. En revanche, les institutions reportent leurs programmes de recrutements et une grande partie de leurs investissements. Elles semblent également chercher à orienter leurs financements vers des secteurs considérés aujourd’hui comme moins risqués. C’est notamment le cas de l’agriculture. Cette observation est récente. Elle reste à confirmer et sera suivi attentivement dans nos prochains points d’actualité.

En cherchant pro activement des remparts à la crise, en assurant des démarches responsables, les IMF sont dans la bonne voie : les solutions innovantes d’aujourd’hui pourront également être leurs succès de demain.

Les institutions se concentrent désormais sur le traitement des risques

Alors que la crise sanitaire semble marquer le pas dans les pays ayant adopté les mesures les plus efficaces, les plans de sortie du confinement permettent d’entrevoir une reprise très progressive de l’activité économique. Nos derniers résultats confirment ce que nous observons depuis plusieurs semaines : la capacité d’adaptation remarquable des institutions de microfinance face à une crise sans précédent.

Près de 90% des institutions ont mis en place un comité de crise, présidé par le Directeur général et réunissant le comité de direction, pour piloter les différentes décisions et affronter les effets de la crise. Ce comité se tient généralement toutes les semaines.

« Nous avons créé une “équipe de gestion de crise” composée des membres du comité exécutif et soutenue par le président du conseil d’administration chaque fois que cela est nécessaire. Nous avons une réunion hebdomadaire avec le conseil d’administration pour faire le point sur la situation et valider les principales décisions » – Partenaire au Myanmar

Les effets de la crise se font désormais sentir sur 81% des partenaires sondés qui font état d’une montée des risques sur leur portefeuille de clientèle. Y répondre concentre l’essentiel des efforts des institutions de microfinance, désormais, au détriment d’autres activités considérées aujourd’hui comme moins essentielles (elles étaient près d’une sur deux à fournir ce type de prestations début avril contre une sur trois aujourd’hui). Cette diminution de l’activité destinée à la fourniture de services non financiers (campagne de sensibilisation, d’information, fourniture d’équipements…) permet une croissance forte des activités dédiées à la restructuration des crédits.

« Pour soutenir nos clients au cours des prochains mois, nous proposons la suspension des versements du principal et des intérêts à tous les clients qui n’étaient pas dans le portefeuille à risque au 1er mars. A ce jour, 75% des clients contactés ont accepté. La procédure va se poursuivre » – Partenaire en Côte d’Ivoire

Les institutions s’adaptent sur les plans financier et de l’activité

Le tableau ci-après montre la progression des difficultés rencontrées et les moyens d’atténuation mis en œuvre pour y faire face.

Sur le plan financier

La volatilité des monnaies dans ce contexte pèse sur les trésoreries des institutions : 64% des répondants hors zone Franc CFA font ainsi face à une forte dévaluation de leur monnaie locale face au dollar. Cette dévaluation impacte directement les institutions qui se sont endettées dans cette monnaie puisqu’elles-mêmes perçoivent très majoritairement les intérêts de microcrédit en monnaie locales.

« La situation s’aggrave encore avec la dévaluation importante du KGS au cours des derniers mois, ce qui contribue à augmenter le coût de couverture de change » – Partenaire au Kirghizstan

Les informations fournies par nos partenaires lors de ce sondage confirment aussi les dispositions quasi-obligatoires prises par les IMF pendant la crise : 67% des IMF interrogées ont réduit ou arrêté les décaissements de microcrédits. Dans une même proportion les institutions ont commencé à restructurer massivement les prêts accordés aux petits emprunteurs en accordant des reports d’échéances de 3 mois, en moyenne. Ces périodes de moratoires constituent un élément véritablement essentiel de la gestion de crise, à tous les niveaux. Qu’ils soient mandatés par les régulateurs locaux, ou proposés spontanément par les IMF, ils permettent aux emprunteurs de bénéficier d’un allègement des charges avant une reprise de leurs activités. De la même façon, les nombreux processus de reports des échéances des investisseurs permettent aux IMF de conserver de précieuses liquidités dans une période d’incertitude. La Fondation Grameen Crédit Agricole a ainsi accordé de nombreux reports d’échéance en avril, en parfaite concertation avec les autres prêteurs.

La crise n’entame pas pour autant la proactivité des IMF et les incite à s’adapter. Pour cela, certaines cherchent des secteurs plus résilients dans ce contexte de crise économique. C’est ainsi que nous avons constaté que 40% des institutions envisagent de s’orienter vers le secteur agricole alors que ce secteur était plutôt délaissé car considéré comme plus risqué avant la crise. Ce point sera particulièrement suivi lors des prochains questionnaires tant ce pourcentage nous semble marquer un changement d’attitude notable. Cette nouvelle orientation est envisagée par plus de la moitié d’IMF dont le montant des prêts agricoles ne dépasse pas un tiers de leur portefeuille, mais également par des IMF très rurales et agricoles. Il est encore trop tôt pour le dire mais la crise actuelle pourrait encourager les institutions à découvrir des secteurs traditionnellement délaissés.

« Nous allons de l’avant avec des plans sur le financement rural et agricole » – Partenaire en Sierra Leone

Sur le plan de l’activité

Concernant l’activité, les difficultés de déplacement des équipes tendent à se résorber quelque peu : 55% éprouvent des difficultés en mai contre près de 80% en avril. En revanche, les réunions de groupe sont toujours prohibées, l’interdiction est d’ailleurs en croissance, ce qui pénalise les processus relationnels des institutions, en premier lieu avec les clients qui n’ont pas d’alternative aux prêts solidaires.

« Les réunions de groupe étaient hebdomadaires ou bihebdomadaires pour les remboursements et les rencontres sociales. Sans réunion de groupe, vous ne pouvez plus exiger le remboursement » – Partenaire au Kenya

Sur le plan social, seulement 12% des sondés ont dû se séparer d’employés depuis le début de la crise ce qui est cependant assez peu en comparaison des moyennes nationales de croissance des chiffres du chômage. Nos partenaires semblent suivre le premier principe érigé par SPTF (1)  « Keep staff employed » selon lequel « les employés d’aujourd’hui seront les atouts demain ». Pour un grand nombre de nos partenaires, se séparer de salariés en période critique semble une perte plus importante qu’un léger gain économique conjoncturel. En revanche, les anticipations pèsent déjà sur les projets de croissance et de développement de nos partenaires puisque près d’une institution sur deux a mis en attente ces projets de recrutement en cours. Cette incertitude pèse également sur les projets organisationnels avec 41% des IMF interrogées qui ont décidé de reporter ce type de projets internes.

La protection du personnel est toujours un point de vigilance avec 90% des IMF qui continuent à lui fournir des moyens importants et à lui rappeler les gestes barrières. Dès le début de la crise, nos partenaires ont pris des décisions rapides pour diminuer le poids de leurs charges fixes et limiter le risque d’exposition à la crise sanitaire : congés payés obligatoires (52%), télétravail (62%), rotation des équipes réduction du temps de travail (57%) ou encore réduction des horaires d’ouverture des agences (52%). Le niveau d’avancement de digitalisation interne de certaines institutions a favorisé ces mutations organisationnelles. C’est le cas notamment pour nos partenaires en Europe et en Asie Centrale, qui bénéficient de nombreux outils électroniques et en ligne.

« La plupart d’entre nous, au siège, travaillons à distance, grâce à notre propre système informatique à distance qui permet à tous les départements de continuer à travailler sans problème » – Partenaire en Géorgie

La crise actuelle qui, nous l’avons vu, limite les capacités de « business as usual » des IMF, nous a amené à étudier l’adaptation du métier d’agent de crédit, au cœur du métier de la microfinance. Certaines missions restent les mêmes, notamment pour les IMF dans les pays les moins affectés : déboursements de prêts (43%), suivi des remboursements (38%) ou analyse des dossiers clients (43%).

La restructuration de prêts en cours prend une place de plus en plus importante dans le quotidien des agents de crédit (43%), avec l’encouragement à utiliser des paiements mobiles (36%) et la rédaction des avenants liés aux reports d’échéances (31%).

Tout comme dans le secteur de la banque de détail, où le chargé de clientèle a démontré toute son importance en période de crise, les agents de crédits des institutions de microfinance sont le lien privilégié des clients. 81% des sondés affirment que le rôle essentiel des agents de crédits est de maintenir le contact avec les clients et/ou les leaders de groupes de crédit.

Nous maintenons le contact avec tous les clients individuels, les chefs de groupe et les présidents de banque de village par le biais de canaux digitaux et téléphoniques. – Partenaire en Zambie

Renforcer l’interaction avec les clients par téléphone (intelligent) ou autres appareils numériques et réaliser le recouvrement par l’intermédiaire du chef de groupe si possible – Réseau international d’IMF

Cette démarche essentielle et massive est d’autant plus à privilégier qu’elle est reconnue par la Social Performance Task Force (SPTF) dans ses principes responsables de crise ,  comme étant essentielle en période de fragilité de la clientèle. Remarquons également que 33% des IMF ont initié des sondages auprès de leurs clients pour mieux comprendre leurs besoins et proposer des offres et services adaptés. Pour près de la moitié des IMF (43%) les conseillers ont également le rôle de « conseiller sanitaire » en rappelant les bonnes mesures d’hygiène, c’est le cas notamment en Afrique de l’Ouest et en Europe.

“L’un des meilleurs investissements que vous puissiez faire en ce moment est de maintenir un contact rapproché avec vos clients. Beaucoup ne peuvent pas effectuer de paiements, mais ils représentent malgré tout des atouts précieux”. – SPTF

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(1) SPTF est une organisation à but non lucratif qui s’engage avec des parties prenantes de la finance inclusive pour développer et promouvoir des normes et bonnes pratiques de gestion de la performance sociale.